Les métiers du capital-investissement, aussi connu sous la dénomination anglo-saxonne private equity, incarnent une fonction économique importante auprès des entreprises non cotées à fort potentiel de développement. En outre, si eux-mêmes ne sortiront pas indemnes du récent séisme financier, le maintien de l’activité des fonds d’investissement en capital constitue l’une des conditions de sortie de la crise économique actuelle, en raison du financement en fonds propres qu’ils assurent auprès des PME. Néanmoins, à l’image du mouvement de fonds s’opérant dans la gestion d’actifs cotés à l’heure actuelle, la question de l’intégration de nouveaux paramètre à caractère extra financier – les risques ESG (environnementaux, sociaux, et de gouvernance) – se pose. Disposant de forts leviers pour l’intégration de tels enjeux au sein de leurs participations, les fonds de private equity pourraient tirer un double bénéfice de cette démarche volontaire : la reconnaissance de leur activité comme essentielle sur le plan économique et responsable vis-à-vis des enjeux du développement durable, mais également l’obtention d’une nouvelle composante venant renforcer la création de valeur actionnariale.
Le capital-investissement, moteur de croissance pour les PME à fort potentiel de croissance et cible de critiques quant à la gestion des aspects sociétaux des entreprises
Alors que l’activité du private equity offre aux investisseurs la possibilité d’introduire dans leur gestion une dose d’actifs non cotés avec l’objectif d’obtenir sur ces investissements un rendement financier supérieur à celui d’actifs plus liquides, les effets macroéconomiques positifs de cette industrie sur la croissance, l’emploi et les capacités de croissance des entreprises sont avérés. En outre, sur le plan microéconomique, le capital-investissement permet d’accélérer la croissance des PME en facilitant l’accès aux capitaux, mais également de leur faire bénéficier de l’expertise des gérants, qui demandent dans la quasi-totalité des opérations une représentation significative au sein des Conseils d’administration. Ainsi, en s’impliquant dans la gestion opérationnelle, les investisseurs en capital optimisent la création de valeur générée par l’activité de l’entreprise. Néanmoins, il convient à ce stade de distinguer dans le monde du capital-investissement deux grandes catégories d’opérations : celle du capital-développement et du capital-risque d’une part, qui prennent le plus souvent la forme d’un investissement pour accompagner la création ou la croissance d’une société, et le Leverage Buy Out (LBO) d’autre part, mécanisme permettant un rachat majoritaire en ayant recours au levier de la dette (in fine supportée par la société acquise).
Néanmoins, s’il remplit une fonction économique essentielle pour le tissu industriel et le développement des sociétés à fort potentiel de croissance, le private equity reste, du moins en France, largement mal compris et parfois critiqué. En effet, il semblerait que ses détracteurs opposent à la recherche d’un rendement économique maximal la dégradation des aspects sociétaux de l’entreprise. A titre d’exemple, la constitution du Collectif LBO, dont l’organisation ATTAC-France est l’un des représentants, illustre la contestation syndicale de ce genre de pratiques financières, de même que le Service Employees International Union (syndicat représentant plus de 2,2 millions de salariés aux Etats-Unis et au Canada), qui pointe le manque de transparence et de réflexion sur la valeur sociale et la vision à long terme des gérants en private equity. Les critiques sont donc vives, notamment pour des raisons sociales. Néanmoins, il convient de replacer ces critiques dans un contexte plus global, caractérisé par la propension du large public à souvent assimiler l’ensemble des métiers du private equity aux pratiques de quelques LBO « sauvages ». Si les cas d’un certain nombre de sociétés semblent éloquents (le producteur de maillots de bain Arena, l’équipementier électrique Cegelec, l’électronicien Eurofarad et bien d’autres), ces derniers ne constituent pas pour autant une composante intrinsèque des métiers du private equity. Les opérations de capital-risque et de capital-développement ne peuvent pas rentrer dans ce cadre, et les LBO ne présentent pas toujours après coup des conséquences sociales. Dans un paradigme franco-français, il semblerait que les LBO aient des conséquences, davantage qu’en termes de destruction d’emploi, sur l’instabilité de l’emploi (généralisation du recours à l’emploi non permanent) et sur les conditions de travail au quotidien (augmentation du stress, diminution des avantages pour les salariés, maximisation de la production, etc.). De surcroît, l’une des conséquences néfastes de la récente crise financière fut sans aucun doute la mise en difficultés des sociétés au ratio d’endettement élevé en raison du durcissement des conditions d’accès au crédit. Dans ce contexte, si les opérations de LBO n’ont pas participé directement au collapsus des banques avant et pendant le séisme financier, il est clair que lorsque ce dernier s’est transformé en crise économique, les participations des fonds LBO sont devenues vulnérables, suscitant de nouvelles inquiétudes quant aux aspects sociaux.
Dans un tel contexte, il ne semble pas déraisonné de penser que l’intégration des enjeux extra financiers dans les pratiques d’investissement et de gestion de l’industrie du capital-investissement est porteuse d’enjeux, tant dans l’optique de redonner aux fonds d’investissement concernés leurs lettres de noblesse qu’en vue d’une meilleure prise en compte des enjeux du développement durable et des risques inhérents au sein des participations.
Les enjeux pour l’intégration des critères ESG dans les métiers du capital-investissement
A l’image de l’ensemble de la sphère financière, une accélération récente des initiatives pour la prise en compte des enjeux ESG dans le private equity est à l’œuvre. Le 5 mai 2010, l’agence de notation extra financière EthiFinance, le cabinet de conseil en RSE Go Between et le laboratoire d’Econométrie de l’Ecole Polytechnique rendaient publics les résultats d’un sondage réalisé en février 2010 auprès de 118 sociétés présentes sur le marché français du capital-investissement. A bien des égards, les résultats sont révélateurs d’un intérêt croissant pour la thématique : deux tiers des acteurs interrogés ont répondu intégrer ce type de critères dans leur politique d’investissement et leurs méthodes de gestion. Dans une certaine mesure, ce phénomène est peut être lié à la crise. Néanmoins, il semble s’inscrire plus généralement dans un mouvement de fond qui tend à considérer ces enjeux comme autant de facteurs de risques extra financiers susceptibles de jouer sur le rendement économique des participations à moyen/long terme. Ainsi, un certain nombre de fonds considèrent aujourd’hui que ce type de risques extra financiers ne doit plus être sous-considéré car une bonne appréhension est synonyme de valeur ajoutée économique et participe à la création de valeur actionnariale. A l’image de M. Olivier Millet, Président du Directoire d’OFI Private Equity, qui déclarait en avril 2009 : « Notre volonté est de contribuer à faire évoluer les modèles économiques des entreprises de notre portefeuille. Notre démarche est cohérente avec notre vision du métier d’actionnaire long terme qui doit assurer une croissance durable des entreprises associées et participer à la création de valeur pour nos actionnaires ».
Si l’enjeu n’est pas des moindres au sein de l’industrie du capital-investissement, et notamment dans les opérations de LBO où les fonds deviennent actionnaires majoritaires, c’est parce que les leviers pour une intégration de ces critères ESG dans les entreprises sont bien plus forts dans un tel contexte que dans le cadre de fonds ISR classiques. En effet, le modèle propre au capital-investissement dispose de leviers spécifiques :
- La structure actionnariale des entreprises-cibles est généralement très peu atomisée. Ainsi, cette caractéristique favorise le dialogue entre les dirigeants, les propriétaires historiques et les actionnaires. Si ces derniers sont parfois taxés d’investisseurs ne se préoccupant que des questions financières au détriment du projet industriel, l’extension du dialogue et des revendications à des éléments extra financiers pourrait être accueillie positivement et en permettre une meilleure prise en considération.
- Les fonds sont rarement des actionnaires dormants. Les enjeux liés à la gouvernance de l’entreprise sont de leur ressort, et leur présence au sein des Conseils d’administration permet de traiter les thématiques ESG dans le cadre du modèle de gouvernance. Concrètement, les pouvoirs de contrôle de la participation sont partagés entre les membres d’une « coalition » réduite (notamment dans le cas d’un LBO), formée de l’investisseur (le general partner), du Directeur exécutif, du management et éventuellement d’autres investisseurs. Dans la mesure où les investisseurs participent à la définition des grandes orientations stratégiques, ils se retrouvent en mesure d’œuvrer en faveur de l’intégration de ces thématiques ESG comme un élément transversal dans cette stratégie.
- A l’inverse de certains fonds de placement spécialisés dans les plus-values à court terme sur des valeurs cotées (type hedge fund), les sociétés de capital-investissement sont des actionnaires de long terme (entre 5 et 10 ans) et la durée est souvent fixée dès l’engagement, notamment pour les opérations de capital-risque. Ainsi, les investisseurs s’engagent sur le long terme, et cet horizon permet d’impulser des changements profonds en faveur du développement durable au niveau de la stratégie de l’entreprise.
Enfin, il semble important de souligner que la présence d’actionnaires en capital-investissement a souvent pour effet de mettre une pression financière supplémentaire sur les managers, dans la mesure où des taux de retour sur capitaux investis élevés sont une caractéristique intrinsèque de l’industrie du private equity. Cette pression se retrouve inexorablement répercutée sur les salariés, ce qui peut se traduire, notamment dans le cas d’un LBO, par une dégradation des conditions de travail et du climat social. Ainsi, aborder une politique d’investissement comme une démarche multicritères incluant les aspects sociaux, environnementaux et de gouvernance de l’entreprise peut être un facteur de pérennisation des bonnes relations entre l’ensemble des parties prenantes internes.
Si les facteurs en présence jouent en faveur d’une intégration progressive des critères ESG dans les métiers du private equity, l’enquête précédemment citée souligne néanmoins le manque d’outils méthodologiques permettant de mettre en place une analyse extra financière de leurs cibles ou de leur portefeuille. Un état de fait qui freine l’évolution des pratiques. En effet, le processus de construction d’outils d’évaluation et de grilles d’analyse en est à ses prémices.
Des outils nouvellement développés afin d’aider les fonds de private equity dans leur processus d’intégration des critères ESG
Pour l’heure, les investisseurs en capital préoccupés par les critères ESG utilisent pour l’essentiel des méthodes peu formelles, basées sur des discussions de gré-à-gré avec leurs participations. Le manque de politiques d’investissement claires et d’outils d’évaluation systémiques nuit à l’intégration des critères ESG. Ainsi, plusieurs axes de développement peuvent être avancés.
Dans ce sens, l’appréhension et l’usage d’un régime global recensant les bonnes pratiques de l’industrie du private equity à l’échelle internationale semble constituer une première étape. Ainsi, les sociétés de capital-investissement devraient peu à peu se familiariser avec les concepts développés par les Nations Unies dans le cadre des PRI (Principes pour un Investissement Responsable) et en signer la Charte. Initié en 2005 sous l’impulsion de Koffi Annan, ce régime international pour l’investissement responsable a lancé une section spécifique aux métiers du capital-investissement en 2008, qui se veut une plateforme de partage des bonnes pratiques en la matière. Si les acteurs français sont concernés (une vingtaine de signataires à l’heure actuelle, parmi lesquels Axa Private Equity, OFI Private Equity, PAI Partners ou encore 21 Central Partners), le phénomène est étendu aux cinq continents et regroupe 81 membres à l’heure actuelle. Ainsi, des sociétés telles que KKR (Etats-Unis), Abraaj Capital (Dubaï), Blue Wolf Capital Management (Etats-Unis), Permira (Royaume-Uni), Mercapital (Espagne), Baltcap (leader dans les pays baltes), ou encore Actis (leader en Afrique) sont signataires. Si les PRI constituent un engagement volontaire, leur signature marque un engagement de l’investisseur à progresser dans l’application de ces principes et à travailler à leur amélioration. Il s’engage ainsi à réaliser un reporting annuel : « Reporting and Assessment Survey ». Ce reporting conduit les signataires à réaliser un bilan ESG de leur activité et de leurs participations. A l’échelle européenne, la European Private Equity & Venture Capital Association a elle aussi publié des lignes directrices visant à aiguiller les investisseurs dans leur intégration des critères ESG (Environnement, Social, Gouvernance) dans la conduite de ses activités. Enfin, notons que l’AFIC (Association Française des Investisseurs en Capital) a rendu public en décembre 2010 un document présentant des éléments de réflexion, des premiers retours d’expérience et une première étape d’une démarche méthodologique d’intégration des critères extra financiers ESG au sein des sociétés de capital-investissement.
En outre, les sociétés de capital-investissement et leurs représentants ne sont pas les seules concernées par ce mouvement de fond. En l’absence d’une offre structurée d’analyse, les agences de notation extra financière doivent également œuvrer dans la création de référentiels et dans le développement de nouveaux services. En ce sens, l’agence EthiFinance, leader français dans la notation des Small & Midcaps cotées et des PME non cotées, a développé récemment une offre innovante proposant, outre l’analyse ESG des portefeuilles de participations sur la base d’entretiens directs et de visites de site, un accompagnement à la mise en place d’une démarche d’investissement responsable formalisée et sur-mesure pour les sociétés de capital-investissement. Cette offre, choisie par des investisseurs tels qu’Axa Private Equity, Qualium Investissement ou encore OFI Private Equity en 2009 et 2010, permet désormais aux sociétés du secteur de formaliser leurs initiatives en faveur de la prise en compte des enjeux du développement durable au cœur de leur stratégie d’investissement et de gestion.
En définitive, si l’intégration des enjeux ESG au sein de l’industrie du capital-investissement n’en est qu’à ses prémices, elle offre d’ores et déjà des perspectives intéressantes en vue de l’évolution des modèles économiques des sociétés de taille moyenne non cotées, conformément aux enjeux du développement durable et du nouveau paradigme de la création de valeur actionnariale. Lequel, s’il passe toujours par la recherche d’un rendement des capitaux acceptable à court terme, ne peut résolument plus négliger les facteurs de risques extra financiers se dessinant à moyen/long terme. Dans cette optique, la gestion des enjeux environnement, sociaux et de gouvernance au sein des entreprises est devenue un préalable indérogeable.
L. Gaborit (03/03/2011).
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