BP : Business as usual for mainstream investors?

Après les évènements dramatiques survenus au cours de la dernière décennie qui ont mis en évidence une mauvaise gestion de nombreux enjeux extrafinanciers, la major pétrolière britannique est rentrée dans une phase de convalescence. L’explosion de la raffinerie de Texas City en 2005 (15 victimes), la pollution des sols suite à l’érosion d’oléoducs en Alaska en 2007, l’explosion d’une plateforme en Azerbaïdjan en 2008, et enfin au centre de cette liste non exhaustive l’explosion de la plateforme Deepwater Horizon dans le Golfe du Mexique en 2010 (11 victimes)… 

Autant d’évènements qui ont entaché la réputation du Groupe et qui auraient pu être évités si ce dernier avait mené une politique proactive de gestion des risques en matière de santé/sécurité des salariés, de maintenance industrielle, de relations avec les sous-traitants et de management de ses impacts environnementaux. Il ne s’agit pas de dresser le procès de la compagnie pétrolière en aval des évènements, mais force est de constater que le positionnement sous l’angle de la communication RSE n’aura pas permis au Groupe de gérer les risques sous-jacents d’une manière efficience. Pour preuve, sur les enjeux précités, les notations RSE réalisées par EthiFinance étaient en diminution année après année depuis 2005.

Ainsi, après une année 2010 des plus difficiles, au cours de laquelle certains ont anticipé un peu trop vite la disparition de BP ou son rachat par une autre major du secteur pétrolier, l’heure est au bilan et il est à espérer que le Groupe tire enfin tous les enseignements des évènements récents, au premier plan desquels la pire marée noire de l’Histoire des Etats-Unis provoquée par l’explosion de Deepwater Horizon le 22 avril 2010. S’il paraît encore trop tôt pour en évaluer la teneur et les résultats, BP a d’ores et déjà amorcé une refonte de son processus de gestion des risques, tant dans les activités offshore que d’une manière générale sur ses installations opérationnelles existantes. Encore plus encourageant, un système d’évaluation des risques extrafinanciers a été intégré dans les études de faisabilité des différents projets en cours de développement. En outre, les procédures permettant de gérer les liens entre le Groupe, donneur d’ordre, et ses sous-traitants sont en cours de révision et devraient subir de profondes mutations en 2011 et 2012. Enfin, les suites de la marée noire et les travaux de réhabilitation dans le Golfe du Mexique ont engendré de nouvelles perspectives sur l’appréhension par BP de la notion de « parties prenantes ». Les liens avec la société civile devraient s’en trouver renforcés à moyen terme.

Mais si ces derniers évènements marquent une véritable rupture avec les pratiques antérieures et vont certainement permettre à BP de renforcer ses systèmes de gestion des risques, il n’en reste pas moins que la compagnie pétrolière ne révolutionnera pas son appréhension de la RSE en quelques mois. De tels changements s’inscriront inévitablement dans la durée, et les premiers mouvements amorcés ne couvrent pas les investisseurs à court/moyen terme. En effet, malgré son mea culpa teinté d’une communication rassurante, BP reste encore aujourd’hui impliqué dans de nombreuses affaires qui le mettent en porte-à-faux par rapport à ses déclarations : condamnation pour entente en Espagne, amende pour avoir fourni des informations trompeuses sur sa production énergétique aux Etats-Unis, soupçons sur l’influence que le Groupe tente d’avoir sur les études scientifiques dans le Golfe du Mexique, etc. Surtout, sur le plan stratégique, si le moratoire sur les projets en offshore profond aux Etats-Unis aura pu rassurer pour un temps les pouvoirs publics locaux, les populations, les associations de préservation de l’environnement et certains investisseurs responsables, la relance amorcée de projets de ce type, un an seulement après la catastrophe d’avril 2010, doit être observée comme un signal de recrudescence du risque. Parallèlement au développement de ces projets à haut risque, l’explosion de Deepwater Horizon n’aura  pas eu d’impact majeur sur la stratégie du Groupe en matière de développement des énergies renouvelables. Les investissements prévus, néanmoins conséquents (8 milliards USD jusqu’en 2015), ont seulement été maintenus, notamment sur les segments des biocarburants, du solaire et de l’éolien. Ainsi, contraint par la problématique de la diminution des ressources pétrolières onshore et l’impérieuse nécessité de renouveler ses réserves, BP est loin d’avoir abandonné sa stratégie de fuite en avant vers l’extraction du pétrole non conventionnel : développement de trois projets d’extraction de sables bitumineux en Alberta, obtention de concessions d’exploration au large de l’Angola en janvier 2011, poursuite des activités d’exploration dans le nord canadien et dans le Golfe du Mexique, mais surtout velléités de conquête de l’Arctique russe. Sur ce dernier dossier, outre les conflits politiques entre la major (qui opère dans le pays par le biais de sa co-entreprise BP-TNK), l’exécutif et l’acteur national Rosneft qui risquent de compliquer le projet, de nombreuses organisations tirent le signal d’alarme sur l’impact potentiellement catastrophique que pourraient avoir des activités de production pétrolière dans cette région particulièrement sensible sur le plan environnemental. Ironie du sort, les changements opérés par le Groupe en matière de gouvernance suite aux évènements dans le Golfe du Mexique aura occasionné la nomination de M. Bob Dudley au poste de Directeur Général. Ce dernier était, jusqu’en 2008, aux commande de TNK-BP.

En définitive, de nombreux actionnaires se réjouiront des belles perspectives qu’offre ce méga projet russe sur le renouvellement des réserves de la major britannique. Néanmoins, à la lumière des faits exposés ci-avant et de l’appréciation peu envieuse donnée à BP en matière de RSE par rapport à certains concurrents, il semblerait pour le moins déraisonné pour tout acteur financier dit responsable de conserver BP dans son univers d’investissement.

Par L. Gaborit

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